Raphael, Président de Solibad, revient d'un voyage où il a pu faire le tour de plusieurs programmes en Indonésie. Il nous livre ses sentiments à travers un "carnet de voyage"
Comme souvent, ce voyage en Indonésie allait bouleverser mes certitudes...
Vendredi 16 juin. Départ pour la 20ème couverture d’un tournoi en Indonésie comme photographe pour Badmintonphoto. Dans mes bagages, du matériel photo précieux pour immortaliser ces magnifiques athlètes. Mais pas seulement. Aussi, une valise entière de chaussures de toutes tailles, de raquettes, envoyées par des badistes des quatre coins de la France à l’appel de Solibad. Car ce voyage, presque initiatique, allait m’emmener bien au delà de mon habituel confort « Jakartien ». Loin, dans les campagnes et montagnes de Sumatra. Loin dans les émotions. Celles provoquées par la fatigue d’abord, avec une semaine de travail acharné, sur les bords de courts. Aussi parce que c’était la dernière fois que l’Open d’Indonésie se déroulait dans cette salle mythique, Istora Senayan, qui vibre comme nulle autre aux enthousiasmes locaux. Aux cris, aux rires, aux chants des Indonésiens qui soutiennent mieux que quiconque sur la planète badminton ces champions, qui, eux aussi reconnaissent la magie du lieu et qui rendent hommage à ce public incroyable et cette salle mythique que nous aurons tous du mal à oublier.
Avant cela, à l’aube de la compétition, nous emmenions Kirsty Gilmour et Adam Hall, deux des meilleurs joueurs Ecossais, dans les entrailles de Bekasi, en banlieue de Jakarta, là où se trouve le programme que soutient Solibad depuis quelques années, dans un village juché sur une déchèterie monumentale. Les deux Britanniques sont des ambassadeurs de longue date, très investis et qui avaient, pour l’occasion, collecté chez eux du matériel pour les enfants. Monang et les autres entraineurs locaux reçoivent les deux stars avec tout l’enthousiasme qui les caractérise, alors qu’une quarantaine de bambins sont tout ouïe, tout sourire et ravis de pouvoir échanger quelques volants avec eux. Nous sommes dans une vielle et immense salle de réception dans un bâtiment laissé à l’abandon, à l’arrière d’un hôtel de cette banlieue poussiéreuse, ou deux courts de badminton ont été tracés.
Après le temps du jeu, les nombreuses photos faites avec les enfants ou leurs mamans, venues profiter du spectacle, nous prenons les mobylettes locales, conduites par les plus grands – ils ont à peine 14 ans – pour aller à la rencontre des familles. 10 minutes dans les petites ruelles de ce village construit de toute pièce sur une industrie du recyclage, à l’endroit même où sont déversées chaque jour les tonnes d’ordures dégueulées par la capitale Indonésienne.
Chaque passage ici, est un choc. Comment des êtres humains peuvent-ils avoir fait de cet endroit leur quotidien ? Kirsty et Adam, comme tous ceux qui passent ici, prennent une grosse claque. Nous rendons visite aux familles de ces petits, qui, quelques minutes auparavant, donnaient le change sur le terrain à nos deux Ecossais hilares. Les sourires ont laissé place à la gravité sur les visages de ces invités de prestige, soufflés par la violence de cette déshérence totale. Les bambins, eux, ont appris à sourire en toute circonstance. Par culture. Par urgence. Aussi, par joie lorsque le destin met sur leur route des moments de partage avec « l’extérieur ».
Le retour dans la navette vers l’hôtel de luxe des joueurs donne l’occasion à nos deux joueurs d’exprimer leur incrédulité. Quant à moi, je suis aussi encore sous le coup de l’émotion de cette journée passée avec les enfants. Aussi, parce que, quelques heures auparavant, j’avais reçu un cadeau magnifique de la part de l’un des "anciens" de la déchèterie, Ikbal, jeune artiste : un tableau géant réalisé à partir d’une photo chipée sur mon profil Facebook, et réalisé à partir de bouchons de volants de badminton, peints un à un à la main pour reconstituer mon visage sur cette fresque colorée magnifique. Près de 80 heures de travail, juste comme cela, pour faire plaisir. Et une leçon de vie supplémentaire pour moi…
La semaine de compétition se passe, et, chance incroyable, trois des stars du badminton local répondent positivement à notre invitation de retourner à Bekasi, jouer avec les enfants. Debby Susanto, ancienne joueuse de l’équipe nationale, ex numéro 1 mondiale, désormais journaliste spécialisée. Marcus Fernaldi Gideon, l’une des deux plus grandes stars du pays avec son acolyte de double, tout sport confondu. Mariska Gregoria Tunjung, actuelle 9eme mondiale en simple. A leur tour, les voici confrontés sur le terrain aux « Bintang Kidul » « les étoiles du Sud », ces petit bouts flanqués de leur uniforme jaune, incrédules de pouvoir ainsi échanger avec des véritables icones. Tout comme Kirsty et Adam, les trois joueurs Indonésiens donneront de leur temps avec une empathie et une gentillesse incroyable, que ce soit dans ce gymnase qui ne ressemble à aucun qu’ils aient jamais foulés, mais également lorsqu’après le traditionnel trajet en deux roues, ils se retrouvèrent au milieu des détritus. En prenant à chaque fois le temps d’aller interroger les jeunes, leurs familles, sur leurs conditions de vie, leurs rêves et leurs espoirs, qui, peut-être passeront par la case badminton pour que ce quotidien, si difficile, puisse un jour s’éclaircir.
Sumatra, terre de bad
Quelques heures après la fin de l’Open, toute l’équipe de Yayasan Bintang Kidul s’active pour un road trip mémorable, pour aller à la rencontre des autres programmes que soutient notre Association, à Sumatra notamment. Yayasan Bintang Kidul, ce sont nos partenaires, qui ont créé 10 programmes à travers l’Indonésie, où le badminton a été choisi pour donner la chance à des jeunes, très majoritairement issus de famille défavorisées. Avec pour objectif de leur faire découvrir une pratique mixte, essentielle pour la santé dans un pays où l’inactivité et la mauvaise hygiène alimentaire fait des ravages, plus encore dans les environnements ruraux ou défavorisés. Avec une dimension de socialisation et de solidarité qui fait une différence évidente. A la tête de cette aventure, Dom et Blak, trublions fantastiques, qui œuvrent depuis des années pour ces déshérités, des villes et des campagnes, en faisant le pari que l’art, la culture, l’éducation - et donc, le sport – offrent des chances et sont des remèdes efficaces à cette pauvreté matérielle et intellectuelle, pour donner une chance supplémentaire à ces gamins. Ils ont, tous les deux, avec un troisième lascar, Ipunk, créé avec "YBK" une structure merveilleuse d’accompagnement.
Direction Padang, pour une première étape sur cette ile de Sumatra que je n’avais jamais foulée. Un accueil incroyable, avec des danses réalisées par les jeunes badistes en costumes traditionnels de la fierté plein les yeux. Solibad rayonne ici depuis plusieurs années sur les T-shirts ou sur de gigantesques bannières, sans qu’ils n’aient jamais vu un quelconque représentant et je me vois accueilli ici, comme pour la suite, tel un prince.
Très ému, mais aussi incrédule devant tant de gentillesse et d’attentions. Et soudain bien conscient que ces envois de matériel, cette aide financière avec nos petits moyens, ce temps consacré par tous les bénévoles de tous les clubs, comités, ligues, tous ces dons de particuliers ou de structures avaient bel et bien trouvé un écho et une raison, ici et ailleurs, dans le quotidien de ces centaines d’enfants à qui vous et nous offrons finalement des petits moments de bonheur et d’espoir.
Les autres étapes de ce voyage seront du même acabit, avec, toujours, des poignées de mains tellement chaleureuses de ces chefs de villages, ces entraineurs locaux, fantastiques, ces parents de jeunes joueurs qui ont embrassé le pari que le sport peut faire une différence. Avec des champions en herbe, dont certains peuvent espérer une route tracée vers le haut niveau. Les autres, auront trouvé une grande famille, un référent à travers notamment ces coachs qui guident leurs ouailles sur les chemins de la vie, bien au-delà du sport. La reconnaissance est omniprésente. Sans Solibad, nous dit-on, la plupart de ces enfants n’auraient pas les moyens d’acheter des chaussures ou des raquettes ou de simplement pratiquer une quelconque activité.
Le périple continue à Harau, à quelques kilomètres d’un petit paradis de rizières entre les montagnes, où un gymnase magistral, entièrement construit en bois de cocotier, accueille une compétition créée pour l’occasion, où 4 des clubs Solibad-Bintang de la région se retrouvent. Une magnifique fête, où les meilleurs se confrontent, où les plus petits ont les yeux qui brillent de voir tant d’acuité et de talent parmi ceux qui portent le même t-shirt qu’eux. Une journée entrecoupée d’un repas pris à même le sol, sur des grandes feuilles de bananiers, avec les délicieux plats locaux mangés à la main par ces 80 gamins surexcités et dont la joie faisait plaisir à voir. A peine les récompenses distribuées (des raquettes et des chaussures !) déjà le temps de repartir. Certains ont plusieurs heures de trajet à faire. D’autres, guère moins loin, feront la route, entassés, mais heureux, à l’arrière d’un pick-up. Ravis par cette aventure d’un jour, où ils ont pu se faire des nouveaux copains, ou se mesurer aux futures stars.
Dernière étape du périple dans cette même province : au milieu d’une école ou deux terrains ont été créés sur une pelouse en attendant la réfection du court officiel du village, en plein air lui aussi, mais en « dur ». Nous y retrouvons quelques bouilles familières, comme toujours. Solibad, via YBK toujours, continue de briller ici, au milieu de nulle part, dans les sourires de ces jeunes, de leurs encadrants, tous passionnés par ce sport national qui résonne là-bas différemment. Comme un prétexte. Une main tendue. Un appel à l’espoir et surtout l’apport d’un peu de légèreté dans ces quotidiens souvent bien lourds. Une légèreté parfaitement symbolisée par ces volants en plume.
Je repars de Sumatra avec la tête pleine de souvenirs, le cœur chargé, ayant partagé une aventure humaine hors norme, reçu tellement – au nom de tous ceux qui œuvrent pour Solibad, évidemment. Avec une pensée douce pour mes compagnons de voyage, Tommy, Ahmad, Ibu K. « dot »com, Ipunk, mais également Agustinus, photographe professionnel hors pair, qui aura accepté, comme cela, la veille de notre départ, de se joindre à nous, entièrement bénévolement, juste pour le plaisir de partager son génie et immortaliser nos actions avec son appareil photo et son drone magique. Et bien sûr, ces deux merveilleuses âmes que sont Dominique et Blak, véritables héros du quotidien, dont l’humilité est inversement proportionnelle aux bonheurs qu’ils distribuent à grandes brassées, au bien fou qu’ils font à toutes ces communautés, les enfants, bien sûr, mais leurs familles entières, les communautés qu’ils font revivre à travers l’art, la musique, la culture, l’éducation et le badminton. Et que c’est un honneur d’accompagner, pour, je l’espère, de nombreuses années encore…
Photos et vidéos : Mikael Ropars / Agustinus Tri Mulyadi (drone)
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